La construction d’un mythe : le Stade toulousain

Revenu sur le toit du rugby français grâce à leurs deux saisons victorieuses, invaincu depuis neuf matchs, le Stade toulousain, institution du rugby français semble de nouveau écrire son récit mythologique. Il peut être fier de sa longue histoire, qui aujourd’hui s’enflamme de nouveau pour son équipe héroïque. Cette génération attise les oxymores, déchaîne les passions et contribue au renforcement du mythe.

Si le rugby est dans l’ADN des toulousains, comme aiment à le répéter les habitants de la ville rose, le rugby est aussi mythologique.

La célébration des victoires du top 14 et de la Champions Cup montre à elle seule la légende du Stade. Les rugbymans, symbole de force, de courage, et d’abnégation paradent dans les rues de Toulouse jusqu’à la place du Capitole. Ils brandissent les trophées gagnés, à bord d’un bus à étage, suivis par une foule en délire. Cette scène rappelle étrangement les cérémonies des Panathénées à Athènes. Les jeunes filles vierges, symbole de pureté, de jeunesse, portant le péplos : voile qu’elles ont brodé dans l’année et offrande à la déesse Athéna, sont acclamées par la foule. Les rugbymans comme les jeunes athéniennes deviennent alors plus que de simples humains, incarnations de valeurs, créateurs de l’offrande ultime. Par cette cérémonie, les « Dieux du stade » descendent voir le peuple pour ne former qu’un avec celui-ci. Chaque supporter espérant recevoir un peu de la divinité des joueurs : pouvoir incarné lui-même les valeurs divines. Les joueurs déifiés descendent de leur bus vers les supporters afin de partager les trophées. Voir ou toucher ces objets permettrait alors au simple supporter de s’élever dans la hiérarchie de l’ovalie.

Cette célébration illustre en elle même la construction du mythe toulousain, s’appuyant sur une histoire longue de victoires et de sacrifices. Comme les héros grecs, les rugbymans ont endurés pour gagner.

Résumer le mythe du Stade toulousain n’est pas chose simple. Nous allons cependant essayer de comprendre la construction d’un mythe, aujourd’hui central dans le rugby français voir européen. Il commence avec la première victoire des toulousains au championnat de France le 31 mars 1912, 15 ans après la fondation du premier club de rugby à Toulouse et 40 ans après l’arrivée du rugby en France. La victoire du 31 mai 1912 vient clôturer une saison sans défaite où le stade a acquis le surnom de « Vierge rouge ». Il continue grâce à une série de 5 saisons victorieuses sur 6 entre 1922 et 1927, le mythe d’un club incontournable du rugby français est alors installé. Celui-ci va alors se renforcé par des symboles. Le logo du club : le S et le T entrelacés, inspiré de la mosaïque de la chapelle d’axe de la basilique Saint-Sernin de Toulouse, dédiée à Saint Thomas d’Aquin. Et les maillots : rouge et noir, couleurs des Capitouls, anciens conseillers municipaux entre 1147 et 1780.

Mais le rugby toulousain n’est pas qu’une histoire de victoire, en effet comme tous les héros, il a du connaître des épreuves pour se dépasser, se renforcer, devenir meilleur. Le Stade renoue avec les grandes victoires le 25 mai 1985, après 58 ans sans trophée. Symbole de cette réussite retrouvée : le stade Ernest Wallon, inauguré en 1982, temple du rugby toulousain, permettant chaque week-end cette communion entre supporters et joueurs. Le Stade toulousain nous rappelle ainsi qu’il sait gagner, mais il sait aussi conserver ses titres : 21 boucliers de Brennus, 5 coupes d’Europe : le plus grand palmarès français et européen.

Ces victoires ont, chacune à leur façon renforcé le mythe. Un mythe auquel de plus en plus de monde adhère, si il y avait 5000 spectateurs pour leur première victoire en 1912, ils étaient 79 789 en 2019 lorsque le Stade remporte son vingtième bouclier de Brennus.

Un mythe qui a créé des légendes : Emile Ntamack, Thierry Dusautoir, Jean Bouilhou, Claude Portolan, Vincent Clerc, Guy Novès, Ugo Mola et des dizaines d’autres… Qui continue à en créer : Antoine Dupont, Romain Ntamack, Julien Marchand, Cyril Baille…

Souvent issues du centre de formation, ces légendes alimentent le mythe d’une institution familiale, qui doit son talent aux jeunes issus de cette « formation toulousaine ». Mais penser le Stade comme une petite institution familiale serait surtout oublié qu’il représente le deuxième budget du top 14 : 35,5 milliards d’euros pour la saison 2021-2022. Et dans un championnat plus compétitif et professionnel de saisons en saisons, l’argent a un rôle de plus en plus important.

Ces légendes du stade, comme les dieux, ne meurent jamais vraiment, à l’image de Guy Novès, acclamé par la foule alors qu’il apparaît à l’écran lors du match Toulon-Toulouse à Ernest Wallon (12 septembre 2021).

Ainsi si le Stade toulousain a depuis ses débuts alimenté son propre mythe, celui-ci s’est considérablement renforcé ces deux dernières années, faisant oublier les quelques saisons difficiles après les victoires consécutives en 2011 et 2012. Rappelons tout de même que, malgré l’invincibilité du Stade depuis le début de la saison, et malgré le mythe toulousain, les joueurs sont humains, donc vulnérables par nature. La question demeure donc : quand est ce que le Stade redeviendra humain ? Quand tombera-t-il ? Et surtout qui pour le faire tomber ? Après la victoire face à Biarritz, la question demeure, pour cette semaine du moins…

Crédits photo : Pierre Lahalle/L’Equipe